[En pause][Alliance - Horde] La Longue Nuit

Je ne voue plus mes nuits au sommeil depuis bien trop longtemps déjà.

Et sans dormir pourtant, je rêve.

J’arpente les allées d’une cité de pierres claires où s’élèvent des colonnes dont la cime monte jusque dans les lueurs étranges d’un ciel ocre, absolument immobile. Je ne sens sur ma peau ni le souffle du vent, ni la chaleur d’un soleil, ni la fraîcheur d’une rosée, ni la moiteur d’un orage. Je jurerais si je n’entendais cette musique que nulle âme n’habitât jamais cette cité.

Car au loin, un air enjoué de flûte et le lent battement d’un tambour accompagnent des chants.

Une angoisse étrange presse mon coeur tandis que je prête l’oreille, cherchant à tourner mes pas vers l’origine de ce que j’entends.

Atteignant à grand peine les hauteurs d’un surplomb, je vis alors s’étendre sous mes yeux, à perte de vue, l’interminable procession de milliers d’hommes de femmes et d’enfants. Marchant d’un même pas, dociles et patients, aux psaumes de la litanie que tous chantaient d’une seule voix.

Un terrible pressentiment incitait alors mon âme à se détourner tandis qu’une inexplicable et impérieuse fatalité me poussait à la curiosité. Ainsi me suis-je joint à leur suite, , étranger parmi eux, fermant la marche en silence, sans que quiconque ne semble faire cas de ma présence.

Des heures sans doutes, des jours peut-être, je cheminais ainsi parmi ces pèlerins que ni la soif, ni la faim ni la fatigue ne semblait ralentir. Puis, se découpant au loin à l’horizon, j’aperçus la silhouette cyclopéenne d’une tour dont l’ombre immense dans le contre-jour semblait fendre le ciel en deux.

J’avais perdu la notion du temps, épuisé par les accents discordants de la flûte et par l’entêtante litanie monotone qui ne s’interrompait jamais. Si bien que j’arrivais à présent sous la gigantesque voûte qui formait l’entrée de ce que je ne peux concevoir que comme une sorte de temple.

Je passais le long d’un corridor sans fin, jalonné de colonnes figurants des êtres dont ma mémoire a refusé de retenir le traits.

J’allais connaître enfin l’aboutissement de cet éprouvant périple à travers ces terres inconnues.

Au centre d’un vaste jardin s’ouvrait un gouffre béant, semblant une plaie infecte dans l’écorce de la terre. Se tenant juste au dessus de l’abîme, flottant dans les airs, la silhouette d’une femme, vêtue d’une longue chasuble jaune dont le capuchon couvrait le visage , le regard  levé au ciel et les bras ouverts, hurlant des prières démentes.  Et je vis ces hommes, ces femmes et ces enfants, un à un, se précipiter sans un cri ; dans l’obscurité de la fosse, continuant de chanter, jusqu’à ce que leur voix s’éteigne dans les profondeurs.

Alors que le dernier accomplissait l’abominable sacrifice, je me tenais seul devant l’abîme au fond duquel je voyais non pas les entrailles d’un monde, mais les profondeurs infinies d’un ciel sans étoile.

Et quand la voix du dernier des hommes se fut tue, engloutie par l’obscurité, l’Ombre et la Mort faites corps et chair se répandirent sur la terre.
La fosse béante vomissait une lueur maladive qui ternissait jusqu’à l’éclat du ciel.

Flottant là ou se tenait la femme en robe jaune je vis cet Être Lointain, aux yeux d’étoiles mortes et à la chair d’Ombre vivante, s'élever au dessus de l’abîme.

Je vis cette chose qui n’aurait dû que ramper se redresser, et se mettre à marcher…

Journal d’Al-Rhazeem le Vieux (Extrait)