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Skäli Foidefer - Pérégrinations d'une naine

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Skäli Foidefer - Pérégrinations d'une naine Empty Skäli Foidefer - Pérégrinations d'une naine

Message  Invité Lun 11 Juil 2016, 21:11



I - Les Débuts


L’orc me fixe d’un regard mauvais. Je sens mes camarades se recroqueviller comme des souris dans chaque recoin possible, aussi loin de l’orc qu’ils le peuvent. J’ai vraiment le don de me retrouver dans les pires situations. Je laisse échapper un soupir résigné. L’orc pousse un rugissement qui fait l’effet d’une tempête devant lui, me couvrant le visage de postillons. Par la Lumière, il est vraiment gigantesque ! La taille d’un seul de ses bras est déjà supérieure à la mienne. Partout où je pose mes yeux, je vois du vert. J’essaie de reprendre une certaine contenance, replace quelques mèches et tresses de cheveux dans le bon ordre. Je suis prête à en découdre.

Je saute sur un tabouret et attrape un bock de bière que je tends au tavernier tremblant sans quitter mon adversaire des yeux.
- Emplis mon auge, Timmy !
Mais mon ami vert en a décidé autrement. Il fait voler mon bock et pose une flasque noire et visqueuse sur le comptoir. De son gilet, il sort deux petits verres de la taille d’un dé à coudre. Si ma sainte mère savait tout ce qu’on peut faire avec du matériel de couture… L’odeur du breuvage qui s’échappe de la flasque une fois ouverte me donne envie de tourner de l’oeil. Afin de me montrer l’exemple, l’orc se verse une dose de ce poison et l’enquille sans sourciller. Son visage passe du vert au rouge, du rouge au noir, puis il exhale une brise digne des enfers avant de reprendre sa couleur d’origine. Je jette un regard inquiet à mon propre verre qui m’attend. C’était définitivement une mauvaise idée de doubler un orc aux osselets.

Pendant un instant, j’ai une certaine nostalgie du temps où j’étais paladin… Je me souviens encore du jour où on m’a donné mon armure et mon tabard pendant la cérémonie d’adoubement à Forgefer. La vie était si paisible alors !  Mes parents étaient si fiers dans l’assistance. Je peux dire que j’ai vu mon nain de père verser sa petite larme, tout ému dans son uniforme de garde. Ma mère n’avait pas attendu le début de la cérémonie et s’épongeait tant bien que mal les yeux. Mon père tentait de la contenir de son mieux :
- Magda, on entend que toi ! Tu vas faire honte à notre fille !
- Je sais, Yvar, mais je ne peux pas m’en empêcher ! Mon petit bébé, paladin de Forgefer !
J’avais travaillé si dur pour en arriver là. Mes parents m’avaient toujours vanté le pouvoir de la Lumière. Mon père avait malheureusement échoué au concours de fin d’études de l’Ordre. Il avait fait une chute de bélier qui avait amoché son genou et il avait du se cantonner au poste de garde au service de l’impératrice Moira. Ma mère travaillait comme infirmière, dispensant son savoir de prêtresse à l’hospice.  Il m’avait toujours paru évident que je suivrai la Lumière, moi aussi. En tant que fille unique, tous les espoirs de la famille reposaient sur moi. Le premier jour de la formation, les officiers et mes camarades de service semblèrent dubitatifs. J’étais la seule fille. Le commandant nous appela chacun par notre nom et décida de notre affectation :
- Foidefer Skäli, intendance. Vous commencerez par les latrines.
Je n’osai pas protester et remplis mon devoir la tête basse sous les ricanements de mes camarades qui apprenaient à consacrer la terre. Quand je rentrai le soir à la maison, mes parents tentèrent de me redonner du courage :
- Skäli tu dois toujours écouter tes supérieurs. Ils connaissent leur boulot.
Ma mère me tapotait l’épaule en disant :
- Tu rends service à l’Ordre. Chaque tâche que tu accomplis sert la cause. Chacun travaille pour la Lumière à sa manière. Je suis bien heureuse qu’ils ne te mettent pas en première ligne ! J’ai encore soigné deux apprentis aujourd’hui, ils étaient mal en point !
Des jours durant, j’observais les autres s’entraîner lorsque j’avais terminé mes corvées. Puis, je ramassais les boucliers et les armures salis de la journée et je passais la nuit à récurer l’équipement pour le lendemain. Un soir que j’astiquais méticuleusement la plaque, j’entendis dans mon dos :
- C’est pas avec un chiffon que tu vas botter l’cul de tes ennemis, gamine.
Je me retournai et découvris un nain que je n’avais encore jamais vu au sein de l’Ordre. Il portait de larges épaulettes à tête de bélier et me dévisageait d’un air goguenard. Il avait le visage du baroudeur qui en avait vu de belles et puis de moins belles. Il dégaina sa masse et la tâta de la main :
- En cas de rififi, c’est avec ça qu’on fait des dégâts !  
Je me relevai en époussetant mon pantalon, un peu honteuse :
- Ils ne veulent pas que je m’entraîne avec les autres. On sert l’Ordre chacun à sa manière.
Le nain partit dans un grand rire qui me fit rougir jusqu’à la racine des cheveux :
- Je ne savais pas que l’Ordre manquait de femmes de ménage !
Quelque chose se révolta au fond de moi et je fronçai les sourcils :
- Je ne suis pas femme de ménage !
Le nain haussa un sourcil :
- Ah non ? Alors qu’est ce que tu fabriques encore ici ? On est ce qu’on fait, gamine.
- Je suis pas une gamine.
- Si tu le dis.
Et sur ces paroles, il reprit sa route et disparut. Quand je me couchai cette nuit là, ma décision était prise.

Le lendemain, sur le terrain, tous les apprentis s'entraînaient au combat à l’épée. Je distinguai du coté des officiers instructeurs le nain que j’avais rencontré la nuit d’avant. Il ne me prêtait pas la moindre attention, mais j’étais bien décidée à lui montrer que je n’étais pas qu’un sous-fifre. Essuyant la paume de mes mains moites sur mon pantalon, je réprimai le tremblement de mes muscles et m’avançai sur la zone de combat. Personne ne faisait attention à moi, alors je pris une épée en bois qui était restée sans propriétaire. Les apprentis devaient changer d’adversaire à la fin de chaque duel, je me mis donc en ligne sur l’une des files. Quand le combat en cours se termina, je me trouvai face à mon adversaire, un jeune nain à la barbe noire. Quand il m’aperçut il écarquilla les yeux et se mit à rire :
- Qu’est ce que tu fais là, Foidemorue ? T’as pas des latrines à récurer ?
Il prit mon épée dans les dents en guise de réponse et atterrit le cul dans la poussière. Le champ d’entraînement qui était empli des cris des combattants fut soudain plongé dans le silence. On entendit que le juron du nain que j’avais envoyé par terre :
- Garce !!
Avant que j’aie eu le temps de répondre, l’un des instructeurs, un nain aux cheveux gris s’interposa entre nous. Il posa un regard sévère sur moi et demanda :
- Skäli Foidefer, qui vous a autorisé à vous servir de cette épée ?
- Personne, chef.
- Retournez immédiatement à l’intendance, dans ce cas, avant que je ne prenne des mesures disciplinaires à votre encontre.
L’instructeur tournait déjà les talons, estimant l’incident clos. Ma main se serra sur mon épée. Je ne bougeai pas d’un pouce. Il faudrait me tirer de là par la force s’ils voulaient se débarrasser de moi.
- Non !
L’instructeur se retourna et me foudroya du regard :
- Comment ? Vous osez contredire un ordre direct de votre supérieur ?
- Je suis venue ici pour devenir paladin, pas femme de ménage ! Si vous ne me laissez pas m'entraîner, j’irai voir directement l’impératrice et je lui expliquerai ce que vous faites des recrues féminines à Forgefer.
Le capitaine me dévisagea un instant et déclara en croisant les bras :
- Très bien, recrue. Vous voulez vous entraîner, trouvez donc un adversaire qui veuille bien vous affronter.

Je regardais l’attroupement autour de moi. Tous mes camarades recrues scrutaient leurs bottes ou me dévisageaient froidement. Aucun ne voulait affronter une fille. Je n’avais pas prévu que les choses se passent ainsi et je commençais à sentir mon courage s’effriter. Comment faire mes preuves si tous étaient contre moi et refusaient de me laisser une place parmi eux ? Difficile d’affronter quelqu’un qui refuse de se battre. La situation semblait désespérée, quand le cercle de mes camarades s’ouvrit pour laisser passer le nain aux épaulettes à tête de bélier de la veille.
Il laissa tomber au sol son bouclier et sa masse et railla :
- Alors petite, t’as perdu ton chemin ? Mon bouclier aurait bien besoin d’être nettoyé pourtant !
Toutes les recrues se mirent à rire et l’instructeur posa une main sur l’avant-bras du nain :
- Bugli, vous n’êtes pas obligé. Cette recrue mérite d’être recadrée.
- Depuis quand les paladins ont la trouille d’affronter une femme ?  Ça a bien changé par ici, depuis mon dernier passage !
Puis se tournant vers moi :
- Prête, recrue ? Je vais pas te faire de cadeau !
Incapable de parler, je hochai la tête et me mis en garde comme je l’avais vu faire en observant les autres ces derniers jours. Le combat s’engagea. Je fonçai vers mon adversaire qui m’envoya bouler d’une pichenette. Je me redressai en essayant d’oublier la douleur dans mes côtes. En terme de force brute, je ne faisais clairement pas le poids et je l’appris à mes dépends. Cet étranger, Bugli, me mettait une sacrée raclée. En moins de cinq minutes, j’avais avalé plus de poussière que le désert d’Uldum ne pouvait en contenir. Mais il n’était pas question d’abandonner. Je me relevai encore. Je n’étais plus en force d’esquiver une énième attaque et je me faisais labourer les cotés d’une latte de bois impitoyable. Le nain s’apprêta à me charger une dernière fois, et je sus que je ne me relèverai pas. J’étais fatiguée de courir dans tous les sens pour lui échapper. Il était bien plus fort, et plus expérimenté que moi. Il allait me tomber dessus quoi qu’il arrive. Il était temps d’accepter dignement mon destin et ma défaite. J’ancrai mes jambes dans le sol, raffermis ma garde et me préparai à encaisser le choc. Quand celui-ci arriva, il se produisit une chose étrange. Je ne sentis rien. Absolument rien. J’étais toujours ancrée dans le sol, au point d’être incapable de bouger. Ma peau était devenue aussi dure et résistante que la pierre des montagnes. Et Bugli, lui, ronchonnait, le cul par terre, en se frottant les poignets. Je mis quelques instants à retrouver mes esprits et le contrôle de mes muscles. Bugli s’était redressé et avait repris une certaine contenance.
- Bien joué gamine, ce coup là,  je ne l’avais pas vu venir !
Il se tourna vers l’assistance médusée et déclara :
- Cette recrue vient de vous donner la leçon la plus importante de votre carrière messieurs. Sur le terrain, peu importe votre force et votre talent, le dénouement d’un combat se joue toujours à votre capacité à encaisser les coups.
Il ramassa son bouclier et sa masse et grimaça :
- C’pas tout ça mais il commence à faire soif.
Il passa près de moi et me fit un clin d’oeil :
- Passe donc me voir à l'auberge quand t’auras fini de botter des culs, Tripes de Fer.

Et j’en ai distribué des taloches depuis ! Mais me revoilà dans une taverne obscure de Baie-du-Butin, dans un tout autre duel avec un orc. Ce ne sont pas les pouvoirs de la Lumière qui vont me tirer de ce faux pas. Mais je me souviens qu’on ne m’appelle pas Tripes de Fer pour rien. Je souris à mon ami vert, attrape la flasque et la descends jusqu’à la dernière goutte devant ses yeux sidérés. Je sens mon estomac se changer en pierre avant que le liquide ne se répande dans mon organisme. Je lui rends sa flasque vide en lui décochant un “zog zog” de circonstance et quitte les lieux tranquillement avant que la baston n’éclate. Peu importe la force dont on dispose, le dénouement du combat dépend toujours de sa capacité à encaisser les coups.


A suivre...


Dernière édition par Skäli le Jeu 14 Juil 2016, 02:59, édité 3 fois

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Skäli Foidefer - Pérégrinations d'une naine Empty Re: Skäli Foidefer - Pérégrinations d'une naine

Message  Invité Mar 12 Juil 2016, 18:31



II - Retrouvailles

Une autre nuit de débauche à Baie-du-Butin, ma nouvelle maison. Le jour se lève et je sens les premiers rayons me taper sur la tête. Mes yeux restent obstinément fermés, j’ai décidément bien trop abusé de la bibine. Le jour peut bien m’attendre encore un peu. Je me retourne dans la paille, afin de replonger dans un sommeil sans rêves. Je sens comme une odeur musquée et la langue râpeuse d’un ovidé bien connu me lèche le crâne. Je repousse mon fidèle destrier d’un bras en grognant :
- Bas les pattes, saleté de mouton !
Outré par l'affront, Alfred le valeureux bélier retourne à son foin. Enfin tranquille, je vais peut être pouvoir me rendormir et me réveiller quand cette maudite cuite sera passée. J’y serais presque parvenue si je n’avais pas reçu un plein saut d’eau sur la tête juste au même moment. Je me redresse brutalement et beugle :
- Attends voir, mon salaud, tu vas voir ce que tu vas prendre… !
- J’aurais espéré un accueil un poil plus chaleureux pour un vieil ami...
- Yorick ?
C’est bien lui. Le même nain à la peau sombre, aux yeux luisants, vêtu d’un simple gilet de cuir qui laisse voir ses bras musculeux. La même tignasse noire et hirsute, la barbe en broussaille. A sa ceinture sont toujours ses deux fidèles compagnons : une rapière et un pistolet. Il est là dans l’encadrement de la porte de la grange où j’ai trouvé refuge, à me sourire d’un air moqueur. Ignorant ma tête qui ressemble au clocher de la cathédrale d’Hurlevent un jour de fête, je me lève et je lui colle un aller-retour bien mérité dans la figure.
- Aïeuh ! Qu’est ce que j’ai fait pour mériter ça ?
Les poings plantés dans les hanches, je lui jette un regard assassin :
- Tu oses poser la question ? Tu as de la chance que je n’aie pas mon épée sous la main ! Tanaan, ça ne te rappelle rien ?
- Si tu veux bien m’écouter, j’ai une explication pour Tanaan… Tu ne veux pas qu’on aille dans un meilleur endroit pour en discuter ?
Les lèvres serrées, je ne bouge pas d’un pouce. Il prend son air de belette et tente de m’attendrir :
- Allez, Skäli, tu n’es pas contente de me revoir ? Même un tout petit peu ?
Je lève les yeux au ciel et me décide à le suivre. J’ai quand même bien envie d’entendre son explication pour Tanaan.

Un quart d’heure après, on se retrouve attablés pour un petit déjeuner digne de l’appétit d’un ogre. Tout en mangeant, on se jauge par dessus nos bols. Yorick n’a pas beaucoup changé depuis toutes ces années... Il est l’oiseau maudit de Forgefer, jamais bienvenu où que ce soit, jamais longtemps au même endroit. Venant d’un Sombrefer, on ne pouvait pas en attendre autre chose, disait mon père. Pourtant ce n’était pas sa faute s’il était né la peau noire et les yeux rouges… Il n’avait pas choisi ses parents, ni d’être orphelin trop jeune… Adopté par un couple de nains sans enfants, il avait grandi à Forgefer, mais il demeurait le mouton noir, celui dont on ne croise pas les yeux dans la rue, de peur de se remémorer de mauvais souvenirs… S’il en avait souffert, il ne me l’avait jamais dit, ni jamais montré. Il disait qu’il s’engagerait dans l’armée, qu’il serait tireur d’élite. Il a surtout un talent inégalé pour vous en raconter de belles et vous embobiner à la première occasion.
- Tu as une tête à faire peur, ma jolie.
- Tu sais comment parler aux femmes, toi.
- Même dans tes pires jours, tu restes quand même la plus jolie des naines.
- Pas difficile, il n’y a pas masse de naines dans les environs… Et j’attends toujours mon explication.
Yorick s’essuie la bouche avec une serviette, geste étonnement élégant au regard du personnage, et il prend un air dégagé.
- J’ai été appelé ailleurs. Un appel urgent. Je pensais revenir plus tôt. Mais quand je suis rentré, c’est toi qui étais partie.
J'ai comme dans l'idée qu'il n'en dira pas plus. Je m'offusque :
- Ne rejette pas la faute sur moi ! J’étais en miettes quand tu m’as ramassée à la Citadelle !  J’ai saisi la première occasion de me tirer de cet enfer....
- Tu lâches l’Ordre pour de bon alors.
Ses yeux me sondent, à la recherche de quelque chose… Mais quoi ? Ma bouche se crispe en un rictus :
- C’est l’Ordre qui m’a lâchée, si tu te souviens bien… Tout mon escadron y est passé. Il n’est pas question que je retourne jouer la chair à canon là bas.

Malgré moi, les souvenirs affluent dans ma mémoire. Pourquoi fallait-il que Yorick évoque cette histoire ? Je revois les corps de mes camarades massacrés au combat. C’était il y a un an, et pourtant l’image reste aussi vivante que si c’était hier. J’étais venue pour en découdre avec la Légion Ardente et Guld’an. Pour mettre fin aux atrocités dans la citadelle maudite de Tanaan. Nous touchions au but, nous avions déjà remporté bien des batailles. Je croyais sauver le monde, triste désillusion ! Mon escadron et moi faisions partie de l’élite. Dans toutes les troupes rassemblées là pour mettre la fessée à la Légion, nous étions respectés partout où nous passions. Mais rien dans notre entraînement ne nous préparait à ce que nous allions affronter là bas. Plus nous progressions dans ces lieux maudits, plus nous découvrions de nouvelles atrocités. Chaque jour, un peu plus de nos frères tombaient au combat, fauchés en pleine jeunesse… La mort n’épargnait rien n’y personne. Nos officiers continuaient de nous seriner que nous nous battions pour une juste cause, que nous allions l’emporter d’un jour à l’autre… Que la Lumière viendrait à notre aide, le moment fatidique venu. Chaque soir, quand nous rentrions au campement, je m’étonnais d’être encore debout. Et chaque jour, quand le soleil se levait, l’angoisse me serrait le ventre, à l’idée que ce jour là serait probablement mon dernier. J’attendais la nuit comme une bénédiction. Mais la nuit recelait de mille dangers, elle aussi. Dans l’obscure jungle, il n’était pas rare de se retrouver face à une bestiole monstrueuse ou un orc capable de vous démembrer en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Petit à petit, nos yeux ne voyaient plus que la lueur verdâtre de la citadelle, comme seul et unique point d’horizon. J’ai vu certains de mes camarades lâcher les armes en plein combat et se laisser tuer, simplement pour en finir avec cette guerre.

Un jour que nous traversions la citadelle, nous débouchâmes sur une nouvelle horreur. En descendant en bas d’un escalier brisé, nous avons trouvé une multitude de cages renfermant des draeneï. Tous des civils, des femmes et des enfants pour la plupart. Nous nous sommes précipités pour les sauver, mais les portes se sont refermées dans notre dos. La chose qui se tapissait là nous avait tendu un piège et nous avions foncé droit dedans. Elle avait besoin de nos âmes, et nous lui offrions un véritable festin. Une grande partie de nos troupes étaient restées bloquées derrière les portes et s’activaient pour nous aider à les rouvrir. Nous étions trop peu nombreux pour faire face à ce démon. Les premiers d’entre nous qui se dressèrent face à lui furent emportés aussi vite que s’il s’agissait de simples feuilles d’automne. Le démon aspirait leur vie et nous recrachait leurs os, utilisait leurs âmes torturées pour mieux nous massacrer. Dans la bataille, je distinguai un étroit soupirail dans l’un des murs. Je m’activai alors pour dégager un passage dans l’espoir de sauver quelques civils et de faire dépêcher des renforts. Je choisis un chasseur elfe, réputé pour sa vitesse, nommé Sevendhael. Je lui demandai de se faufiler dans le soupirail avec les civils, et de faire venir des troupes pour nous aider. L’elfe ne se fit pas prier et ni une ni deux, il pénétra dans l’étroit soupirail avec les enfants.  

Mais le démon m’avait repérée. Il acheva le paladin qui lui faisait face et dirigea son regard sur moi. Je brandis mon bouclier pour parer sa prochaine attaque, soutenue par mes camarades. Nous résistions tant bien que mal et je les encourageais de mon mieux :
- Tenez bon les gars, les renforts arrivent, l’elfe a réussi à s’enfuir !
Mais les heures passaient et personne ne venait nous aider. Aspirée à mon tour dans le ventre immonde de la bête, je tuais sans relâche les âmes torturées de mes camarades qui revenaient me hanter. Je déchirai le ventre de la chose pour m’échapper, avant qu’il ne soit trop tard pour moi aussi. J’entendis alors au loin la voix d’un officier qui provenait du couloir et qui criait la retraite “Retirez-vous ! Ils sont tous morts, sortez de là”. Mais nous n’étions pas tous morts, pas encore. Quand les troupes eurent déserté la citadelle, mes compagnons  épuisés tombèrent un à un. L’espoir avait quitté leurs yeux et mon bouclier vola en éclats. J’étais la dernière debout, et j’allais mourir, là, abandonnée de tous. Je ne vis pas de lumière, lorsque mon épée quitta ma main, rien que les ténèbres.

Je me réveillai quelques temps plus tard dans un lit de camp. Le chasseur elfe que j’avais envoyé pour nous sauver nous avait trahis. Il avait déclaré que nous étions tous morts et qu’il était le seul à avoir survécu à l’embuscade, avec les enfants. Mais une fois le choc passé, les enfants se mirent à raconter ce qu’ils avaient vu. Yorick, de repos ce jour-là, attendait de mes nouvelles avec inquiétude. Et lorsqu’il entendit le récit des enfants, il décida d’aller voir les officiers pour envoyer un escadron de secours. Les officiers lui répondirent que nous étions morts en martyrs et qu’il n’y avait plus rien à faire pour nous sauver. Alors Yorick alla seul dans la Citadelle par le chemin que les enfants lui indiquèrent. Il me trouva à l’agonie et utilisa de tous ses talents pour nous sortir de là. Il me ramena au campement et me sauva la vie. Un haut gradé vint me voir, un soir. Il me demanda si je souhaitais une compensation financière en échange de mon silence. Je lui crachai au visage. Voyant que je ne guérissais pas, Yorick décida de m’éloigner du front et il trouva une petite cahute dans l’un des villages environnants. Là bas, je commençai à retrouver des forces, mais je ne pouvais pas oublier ce qui s’était passé. Au moins nous étions tous les deux, Yorick et moi.

Jusqu’au fameux matin où je me retrouvai seule. Pas un mot, pas une lettre. Je l’attendis trois jours entiers. Puis, je commençai à croire que Yorick en avait eu assez de s’occuper de moi. Je laissai mon épée, mon bouclier, mon armure tout ce qui faisait de moi un paladin. Je repris la route, armée seulement d’un poignard. Je payais avec ma solde un passage sur un bateau de marchandises à destination d'Hurlevent, et commençais mon errance, de village en village, avec le sud pour seule direction. J’écrivis cent lettres à mes parents, sans jamais pouvoir en envoyer une seule. Ils avaient tant cru en la Lumière, en l’Ordre des paladins. C’était impossible de leur expliquer, impossible de rentrer. Je n’avais nulle part où aller, hormis là où se retrouvent tous les exclus, les sans foyer de Baie du Butin.

La guerre est finie, je sais. Nous avons gagné, et l’on peut désormais admirer de belles plaques de marbre à Hurlevent avec le cortège de noms des anonymes tombés là bas. Je suis mieux ici, à me bourrer la gueule tous les soirs et à me bastoner avec mes copains de la horde.

Yorick me regarde d’un air grave :
- Qu’est ce que tu comptes faire maintenant ?
Je hausse les épaules :
- Je vais m’engager sur un bateau de pêcheur dans le coin.. Et vivre de mes rentes. Le coin est sympa, et la bière est bonne.
Yorick fronce les sourcils et balaye l’air de sa main :
- Pas à moi, poulette ! Tu vas finir par t’ennuyer, je te connais. Et puis t'as jamais supporté l'odeur de la poiscaille.
- Ah ouais ?
Je le défie du regard, ce vieux roublard. Il me sourit et s’approche un peu :
- Et si je te disais que j’étais sur un gros coup ?


A suivre...


Dernière édition par Skäli le Jeu 14 Juil 2016, 02:47, édité 4 fois

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Skäli Foidefer - Pérégrinations d'une naine Empty Re: Skäli Foidefer - Pérégrinations d'une naine

Message  Invité Mer 13 Juil 2016, 16:48



III - Complications

Et voilà comment on se retrouve empêtrée dans une jungle hostile à se faire dévorer vivants par des moustiques gros comme la main. Pour ne rien arranger, le ciel a aussi décidé d’y mettre du sien et ça fait maintenant deux jours qu’en plus de la jungle, on tente d’avancer sous une pluie diluvienne. Ah je m’en souviendrai des plans géniaux de Yorick ! Il a encore réussi à m’embobiner celui-là… Jamais faire confiance à un Sombrefer, me disait mon père ! Tous de la mauvaise engeance, ils ont le mal dans le sang… J’entends encore son ton péremptoire. S’il savait pour Yorick et moi… Je donne un coup de machette rageur sur une énorme liane et trébuche dans un trou d’eau. Je maudis les titans et tous leurs plans si savamment élaborés pour cette foutue planète ! Tous ces millénaires de préparation, cette soi-disant intelligence supérieure et même pas foutus de concevoir une jungle plus praticable ! Tout ça afin de rendre une petite visite de courtoisie à des trolls, qui seront ravis de nous délester de nos têtes en moins de temps qu’il ne faut pour le dire ! Un gros coup, qu’il disait ! Ha ! Que je sois maudite si je suis encore une fois Yorick dans une de ses missions de sauvetage héroïque. Un de ses amis de la Ligue des Explorateurs a eu la très ingénieuse idée d’aller fouiller un site tout proche d’une tribu Gurubashi, et toute la compagnie risque maintenant de finir en banquet troll si on ne se dépêche pas d’aller les récupérer. Évidemment, il a fallu que Yorick s’en mêle, et me voilà dans le pétrin avec lui. Je me suis laissée séduire par la récompense, une somme plutôt rondelette, en échange d’un coup de main. Je me doutais que ça ne ressemblerait pas à un joyeux pique-nique dans les bois, mais ça fait maintenant trois jours qu’on avance d’à peine quelques mètres par heure et je commence sérieusement à douter qu’on réussisse même à atteindre notre destination. A l’heure qu’il est, les explorateurs sont sûrement en cours de digestion dans l’estomac des trolls. Je jette un coup d’oeil à notre troupe de bras cassés. Quelques hommes du cru engagés pour trois fois rien, des mercenaires en mal d’action à la trombine peu engageante. Quant au reste, quelques hommes et femmes de la Ligue qui n’étaient pas sur le site pendant l’attaque. Ils ressemblent plus à des rats de bibliothèque qu’à des aventuriers aguerris. Tout ça ne présage rien de bon pour la suite.  Une jeune naine même pas encore sortie de l'adolescence, marche devant moi et balaie l’air de tous les côtés avec sa machette. J’attrape son bras au vol avant qu’elle n’embroche quelqu’un au passage :
- Eh ! Fais attention avec ton coupe-papier !
Je la dépasse et lui montre le mouvement à faire pour débiter la végétation efficacement. Elle rougit et me remercie à voix basse.
- Merci, madame… Mon père fait partie des hommes capturés, vous savez… Je ne sais pas comment nous aurions fait sans vous…
Je garde pour moi mes commentaires pessimistes. Il y a tant d’espoir dans ses yeux d’enfant que je ne peux pas lui dire le fond de ma pensée. Je bougonne :
- La route est encore longue, ne perdons pas de temps.
Je me fraye un passage à travers les arbres et me dépêche de rejoindre Yorick dans le cortège. Je le retrouve en train de ronchonner sur sa vielle pipe, qu’il tente d’allumer en vain.
- Tu ne risques pas d’y arriver avec toute cette flotte.
Sans me regarder, il pousse un juron et jette sa pipe détrempée dans un buisson d’un mouvement brusque.
- Ah ça ! C’est pas un temps à foutre un nain dehors, saloperie de jungle !
- C’était ton idée, je te rappelle.
- N’en rajoute pas ! J’ai tant de flotte dans mes bottes que les poissons pourraient nager dedans !
- J’espère que tu ne nous as pas entraînés dans une mission suicide… Dans quelques heures c’est pas la flotte qui te donnera le plus de souci...
Il me jette un coup d’oeil en biais et je sens bien que lui non plus n’est pas tranquille.
- Je le fais pour mon vieux copain Godrick. Il m’a sauvé la vie, y’a des années. Je lui dois bien ça, et à sa fille aussi.
Il se tait un moment, la mine renfrognée, et on continue d’avancer en silence. Je me garde bien d’ajouter quoique ce soit, l’ambiance est suffisamment morose comme ça.

Finalement, au bout de quelques heures de marche supplémentaires, on commence à sentir que la végétation s’éclaircit un peu. Les oiseaux eux-mêmes se taisent. On approche. Toute notre troupe se rassemble peu à peu, les hommes se tendent, prêts à dégainer leur arme à la moindre incartade. Notre plan est d’attendre la nuit tombée pour zigouiller discrètement les gardes et libérer les prisonniers. C’est un bien maigre plan mais on n’est pas vraiment en nombre suffisant contre les trolls. A l’abord des vieilles ruines de l’ancienne cité, Yorick indique par quelques signes discrets au reste de la troupe de se disperser et de se planquer dans les alentours. Lui et moi allons reconnaître la zone, repérer l’emplacement des gardes et leurs rondes puis on reviendra se cacher en attendant la nuit. Alors qu’on s’apprête à partir, il me retient par le bras :
- Skäli...
- Oui ?
C’est un de ces moments gênants où l’autre vous regarde avec l’air d’avoir mangé un truc pas frais et qui ne parvient pas à vous dire quoi exactement. Je sens bien qu’il a quelque chose sur le coeur, mais finalement il se ravise et demande seulement :
- T’as vérifié que tes lames n’ont pas pris la rouille ?
Je ne peux pas m’empêcher de sourire en coin :
- J’suis plus une gamine, tu te souviens ? Et toi aussi, fais gaffe à tes miches, d’accord ?
- Ouais ouais...
Je pourrais presque jurer qu’il a rougi sous son teint buriné. Alors, c’est plus fort que moi, je l’attrape par le paletot et lui colle un baiser dont il aura le souvenir. Une fois fait, je le regarde droit dans les yeux et lui plante mon index dans le thorax :
- Je suis sérieuse.
Il ne bronche pas et hoche la tête.
- Promis, m’dame.  
On se sépare alors, moi vers le nord, lui vers le sud. Les réflexes des temps de guerre reviennent vite. C’est une histoire qui me colle à la peau. Les trolls sont bien au rendez-vous, comme on s’y attendait. Pour l’instant, pas de prisonniers en vue, si tant est qu’il y ait encore des prisonniers à libérer. Par contre je distingue très nettement l’enclos d’un de ces dinosaures que les trolls capturent pour en faire leur monture. Il se démène comme un beau diable là-dedans et fait un sacré raffut, ce qui m’arrange. Il pourrait bien me donner la diversion dont j’ai besoin. D’autant que les trolls sont rassemblés autour d’un feu en attendant qu’une pile de viande fraîche soit cuite à point. Au juger, ils sont une dizaine, sans compter les gardes aux alentours et ceux que je ne vois pas encore. Non loin de moi, il y a deux peaux bleues qui se promènent à l’entrée du camp, en lisière de forêt. Je me dirige vers un grand arbre afin de prendre un peu de hauteur et d’y voir un peu plus clair quand j’entends des cris plus au sud. La direction qu’avait prise Yorick, pour la reconnaissance. J’abandonne mon projet et sans m’embarrasser de discrétion, je tire mes deux rapières en courant droit vers les ennuis.

Quand j’arrive sur place, c’est une bataille désordonnée, et sanglante. Visiblement, quelqu’un a du attirer l’attention des trolls et notre plan foireux est parti en fumée. Je distingue Yorick dans la mêlée qui se bat contre deux trolls armés de lances. Il a l’air en mauvaise posture. Je me glisse derrière un des assaillants et lui plante une de mes lames dans le dos. Me revoilà sur le champ de bataille ! Yorick achève le deuxième d’un coup de poignard, et je m’exclame :
- Je te laisse deux minutes et voilà le merdier !
Tout en parant l’attaque d’un autre troll, Yorick gronde :
- C’était pas moi ! Un gars de la Ligue s’est planqué à coté d’un nid de serpents et il s’est mis à gueuler comme une pucelle effarouchée !
On se bat dos à dos pour affronter la horde de nos ennemis, et il y en a beaucoup. Je ne sais pas ce que font les mercenaires engagés par la Ligue, j’espère juste qu’ils n’ont pas filé au premier coup de fusil. On ne tiendra pas longtemps. J’ai une pensée pour la gamine de Godrick. Je n’ai même pas eu le temps de lui demander son nom. J’espère qu’elle est toujours planquée quelque part, en sécurité. Je redouble d’efforts. Il faut qu’on s’en sorte. Yorick aussi se démène, sa rapière fendant l’air de tous cotés, distribuant quelques balles de temps à autre, d’un tir précis.
- On ne tiendra pas longtemps comme ça !
- T’as une meilleure idée peut être ?
- Plus au nord, il y a un raptor dans un enclos ! J’ai dans l’idée que ça fait un moment qu’il n’a pas bouffé !
- C’est de la folie !
- Je sais ! T’as une meilleure idée, peut-être ?
- D’accord, d’accord ! Vas-y et ensuite libère les prisonniers ! Je les ai vus au sud-ouest du camp ! On va tenter une retraite dans le sous-bois ! Fais vite !
Ni une ni deux, j’éventre mon assaillant d’un coup de lame bien placé et tape un sprint à couvert. Je n’ai jamais couru aussi vite de ma vie, encore moins dans une végétation pareille. J’imagine qu’il suffit d’avoir la motivation appropriée.

J’arrive aux abords de l’enclos et ralentis la cadence. Tous les trolls sont partis se battre au sud. Ils ont même laissé leur dîner sur le feu. En espérant que ce soit plus appétissant que la carcasse d’une naine aux yeux du raptor. Finalement, la rencontre se passe mieux que ce que je n’avais imaginé… Le raptor suit bien obligeamment la route que j’ai tracée pour lui avec les morceaux de viande. Ne reste plus qu’à poursuivre mon deuxième objectif. Quelques minutes plus tard, j’arrive vers l’endroit indiqué par Yorick. Non loin, j’entends les rugissements du prédateur entremêlés des cris de panique dans les deux camps. Ma distraction fait son effet. J’espère seulement qu’elle sera en faveur de Yorick. Pas le temps de m'appesantir sur le sort de mon nain, il faut libérer les prisonniers. J’ai enfin trouvé les cages, et les hommes semblent intacts. Mais évidemment, il va me falloir la clé pour les ouvrir. Je n’ai jamais été une bûcheronne chevronnée et le temps que je taille en pièce ces cages, les hommes seront tombés en poussière. C’est là que le dénommé Godrick écarquille les yeux devant moi et hurle :
- Attention !!
Trop tard. Le temps de me retourner, et un énorme troll, sûrement un berserker, tombe à mes pieds dans une flaque de boue. Je l’ai échappé belle, mais ce n’est pas grâce à ma réactivité. Ébahie, je vois surgir une bonne femme minuscule, armée de deux cure-dents qui m’adresse un grand sourire sous sa tignasse d’une couleur improbable. Elle m’agite un trousseau de clé sous le nez en s’esclaffant d’une voix haut perchée :
- C’est ça que tu cherches, gamine ?
Je n’ai pas le temps de m’offusquer de l’insulte, venant d’une personne deux fois plus petite que moi. Je me saisis des clés, l’occasion est trop belle. Tout en m’activant sur les cages, je lui demande :
- Merci, oui.. On peut savoir ce que vous foutez là ?
- Disons que j’ai une affaire importante à régler dans les parages… Vous n’auriez pas croisé un artefact extrêmement rare, par hasard ?
Tiens donc, un artefact ! En la regardant de plus près, la gnomette m’a tout l’air de ressembler à l’un de ces pirates que je vois souvent traîner dans les ruelles du port de Baie du Butin. Tout à fait le genre de personne à tuer un berserker tout en arborant d’adorables couettes roses. Étant donné qu’elle vient de me sauver la vie, je ne vais pas jouer les revêches. Je hausse les épaules :
- Jamais entendu parler. Mais vous n’avez qu’à demander à nos amis ici présents, ce sont eux les fouines !
Godrick et ses amis me jettent des regards furieux, je sens que j’ai touché un point sensible. Il y a comme un silence gêné tout d’un coup. La gnomette n’a pas rengainé ses poignards et elle nous bloque le passage, comme qui dirait. Aucun homme ne se risque à la dépasser, de peur de se retrouver dans le même état que le pauvre berserker étendu par terre. Godrick se racle la gorge :
- Écoutez, ma p’tite dame, vous ne croyez pas qu’on pourrait discuter de tout ça un peu plus tard ? Avec tout le respect que je vous dois, bien sûr !
Je pointe du doigt la direction des combats, et insiste :
- Je crois qu’il a raison, qui que vous soyez, si on reste ici, il n’y aura bientôt plus rien à chercher.
La gnomette se fige pendant un instant en affichant une moue extrêmement contrariée. Finalement, après ce qui parait une éternité, elle pousse un soupir résigné :
- Très bien, va pour plus tard.
On se dépêche alors de rejoindre l’échauffourée qui bat son plein un peu plus loin. En voyant les hommes de la Ligue sur le front auprès de Yorick, je me sens soulagée. Au moins, les hommes continuent de se battre et mon nain est toujours debout, taillant en morceaux tout ce qui se présente devant sa lame. Les trolls semblent impossibles à dominer. Coupez leur un bras, il leur repousse aussitôt, et il reviennent à la charge plus hargneux que jamais. S’ils ne faiblissent pas, nous si. Les bras mollissent, le doute se lit dans les regards. Le raptor, lui, se régale. Il redistribue les points entre les camps quand ça l’arrange. La gnomette apparaît et disparaît sans se faire remarquer, et semble s’amuser follement dans toute cette agitation. Au milieu de la mêlée, je tente de rejoindre peu à peu Yorick et m’exclame :
- Mais d’où sortent-ils tous ?
- Il y en avait aussi dans l’ancien temple… Saletés de peaux bleues ! Ils sont plus coriaces que ma vielle tante Hilda !
La masse des trolls se resserre peu à peu autour de nous et j’en comprends la raison un peu tard. La Ligue des Explorateurs n’est plus nulle part en vue !
- Mais où sont-ils tous passés ?
Yorick enrage :
- Ces salopards se sont barrés dans la jungle ! Ah ça, c’est pas du joli-joli mes salauds ! Si je croyais ça de mon vieux copain Godrick ! Faux frère !
Je ne sais pas si c’est le coup de la déception, mais ses coups semblent s’affaiblir peu à peu. Il transpire à grosses gouttes, mon nain. Ce n’est pas dans ses habitudes pourtant !
- Tu tiens le coup, Yorick ?
- Bien sûr que oui !  
Comme pour me le prouver, il redouble d’efforts et transperce le ventre d’un troll devant lui. Mais je sais bien moi, que quelque chose ne va pas. Je le sens. Son teint est livide, ses mains tremblent. Il faut qu’on se tire de là et vite. On recule vers l’orée du bois, pas à pas. La nuit est tombée, on devrait pouvoir profiter de l’obscurité pour s’échapper. Mais Yorick ne semble pas en mesure d’aller bien loin. Il tombe un genou à terre. Je m’affole :
- Yorick ! Tu es blessé !
- Ah ils m’ont bien eu, les sagouins ! Y’a un truc qui m’a piqué le cou tout à l’heure… C’est cette foutue fléchette qui me fait voir tout trouble !
Il se redresse à grand peine et tire son poignard pour achever un troll qui approchait dangereusement et s’écroule sur lui, le faisant tomber à la renverse. Je me débats du mieux que je peux pour lui offrir un rempart.
- Bordel, accroche toi Yorick !!
A ce moment là, comme pour répondre à mes prières, le raptor débarque et se jette sur les trolls devant nous. C’est une vraie boucherie. J’en profite pour extirper Yorick de sous son assaillant, et l’attire dans un coin un peu à l’abri, sous un grand arbre. Il crache une gerbe de sang, et ses mains sont froides comme la pierre. Ses yeux se ternissent, et ce n’est pas un effet du manque de lumière.
- Yorick, ne me lâche pas !
- C’est rien, ma jolie, ça va aller… Juste un petit coup de mou…
Bon sang, qu’est ce que je peux faire ? Il n’y a rien aux alentours, à part cette horrible jungle humide ! Je tiens ses mains entre les miennes, comme si ça pouvait changer quoique ce soit. Je l’implore de toutes mes forces de garder les yeux ouverts, de se redresser, mais rien n’y fait, il ne bouge pas d’un pouce.
- Utilise le don des nains !
Il sourit faiblement :
- Déjà essayé… Ah ! Ils m’ont bien eu !
- Dis pas ça…
Il me caresse la joue gentiment, essuie mes larmes qui coulent à flot sans que je puisse les retenir.
- Je suis bien content de t’avoir croisée, ma jolie… Bien content…
- Oh non, tu ne vas pas t’en tirer comme ça !!
Mais il est déjà trop tard. Ses yeux se sont fermés. Ses lèvres se figent dans un dernier sourire. Sa main retombe mollement sur son pistolet. Dans mon désespoir, je tente de le ranimer, mes deux mains appuient sur sa poitrine en rythme pour tenter de faire repartir son coeur.
- On ne peut rien contre le poison des trolls… Je suis désolée pour ton ami.
C’est la gnomette qui est de retour. Elle observe la scène perchée sur une énorme souche, ses couettes roses brillant sous les étoiles. Mais je ne me laisse pas déconcentrer et continue de m’acharner en vain sur le corps inerte de mon nain. Elle me laisse m’escrimer pendant un moment, en silence, puis je sens sa petite main se poser sur mon épaule.
- Il y a une autre tribu trolle dans les environs, ils ne vont pas tarder à débarquer pour ramasser les restes. Il faut y aller, fillette.
Ce mot là, “fillette”, me sort de ma transe, et toute la réalité du moment me tombe dessus brutalement. Terrasse tous mes efforts. Il ne m’appellera plus jamais comme ça. Soigneusement, je replace sa rapière et son pistolet autour de lui, croise ses bras sur sa poitrine, tente de lui donner un air digne dans cet endroit de malheur. Une fois fait, je me redresse tant bien que mal, essuie mon visage d’un revers de manche. La gnomette est toujours là. La seule qui n’ait pas déserté. Je me demande bien ce qu’elle veut. Elle me jauge un instant et déclare en me tendant la main :
- Mon nom est Périlla Boutefeu, capitaine du Old Bill.
Je me garde de tout commentaire sur cette panoplie de noms d’aussi bon goût que sa coupe de cheveux.
- Skäli Foidefer.
- On dirait bien que tes amis de la Ligue se sont carapatés, Skäli Foidefer. Ça m’ennuie beaucoup, car je comptais bien mettre la main sur cet artefact. Étant donné que je vous ai laissé la vie sauve exprès pour ça, sans parler du berserker qui allait te tomber dessus…
Elle fait semblant de compter sur ses doigts comme si elle effectuait un calcul compliqué et ajoute enfin dans un grand sourire :
- Je crois bien que tu m’en dois une ! Une vie pour une vie, c’est la règle chez les pirates !


A suivre...

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Skäli Foidefer - Pérégrinations d'une naine Empty Re: Skäli Foidefer - Pérégrinations d'une naine

Message  Invité Lun 18 Juil 2016, 15:17



IV - Souvenirs


- Remuez-vous bande de murlocs invertébrés ! Sacs à vin !
Périlla Boutefeu, suspendue aux cordages, donne un coup de lame bien placée, libérant une poulie, et atterrit près de la barre. D’une violente secousse, elle repousse le pauvre marin posté là et prend sa place.
- Sous le vent ! Bordez la misaine, marins d’eau douce ! Il y a le temps qui mouille et pas qu’un peu !
Le capitaine du Old Bill tend sa lame vers le ciel comme pour défier la Création et enguirlande l’équipage de plus belle.  
- Si vous voulez revoir vot’ rhum, arrimez les tonneaux à la cale ! Et qu’ça saute !!
Périlla beugle ses ordres d’une voix qui couvre les fracas du tonnerre, sautant d’un bout à l’autre du Old Bill qui n’en peut plus de grincer et de gémir sous les assauts de la mer déchaînée.  Il n’est pas le seul à souffrir. Je m’accroche tant bien que mal au bastingage, vomissant tripes et boyaux dans la tempête. Par Khaz Goroth, j’aurais jamais du quitter ma montagne ! Une vague me claque la figure et ma vision se brouille. Les yeux plein de sel, je m’accroche à ce qui me passe sous la main, incapable de m’orienter. Les hommes me poussent en rigolant, me traitant de marin d’eau douce. J’aurais jamais du quitter ma montagne… En trébuchant sur le pont inférieur, je m’étale de tout mon long sur les planches de bois gluantes et sens le contact froid et rugueux de la pierre gravée que je porte autour du cou, en pendentif.

“J’ai fait ça pour toi, Skäli…” J’entends encore la voix penaude de Yorick résonner dans ma mémoire. Nous n’étions alors que deux gamins de Dun Morogh. Mes yeux s’embuent alors que je replonge dans mes souvenirs, et le sel n’y est pour rien.  Il avait gravé quelques runes maladroites dans ce bout de granite, y avait percé un trou et l’avait passé dans une cordelette de cuir. Ses doigts tremblaient un peu tandis qu’il fourrait d’un geste bourru le drôle de bijou dans ma main. Nous avions encore échappé à la surveillance de nos parents pour nous retrouver dans les montagnes. Mon père allait me passer un sacré savon pour avoir traîné avec le “bâtard Sombrefer”. Personne n’aimait Yorick, à part moi. Ses parents adoptifs espéraient toujours qu’il “changerait” avec le temps… Mais Yorick ne pouvait rien contre sa peau couleur de suif et ses yeux cramoisis. Les autres enfants avaient peur de lui et le fuyaient naturellement. Que des troggs sans cervelle, disait-il. Je ne me rappelle plus comment nous nous étions rencontrés pour la première fois. Ni comment nous étions devenus amis. Pour moi, Yorick avait toujours été là, à traîner dans un recoin de la ville, dénichant des trésors, défiant des monstres de chimère.

Nous passions notre temps à courir les collines enneigées, avec le ciel pour seule limite. Nous nous lancions souvent des paris stupides. L’un de nos jeux préférés était “la caverne aux yétis”. Nous avions trouvé une grotte obscure non loin de Forgefer qui résonnait de drôles de rugissements quand le vent soufflait fort. Nous imaginions qu’une famille de yétis y vivait. Yorick me regardait et lançait d’un ton goguenard : “Deux cuivres que t’es pas cap’ de rentrer !” . Évidemment, l’un comme l’autre, nous étions bien trop trouillards pour nous y risquer. Nous pouvions passer des heures à nous défier près de cette grotte, le jeu se transformant en concours de provocations et d’insultes les plus improbables. L’infamie ultime consistant à nous traiter mutuellement de “fillette”. Nous terminions immanquablement la partie dans la neige à nous envoyer des paquets de poudreuse dans la trombine. Mais ce jour là, c’était différent.

Nous n’étions plus tout à fait des enfants, pas encore des adultes. Ce bout de caillou dans ma main signifiait que tout était sur le point de changer. C’était à la fois grisant et un peu effrayant. Mon coeur battait la chamade, comme lorsque je contemplais le vide au dessous de mes pieds, après une longue marche dans les sommets de Khaz Modan. Comme lorsque votre estomac joue à l’homme-canon de Sombrelune, que vos paumes se couvrent de sueur, et que votre langue bredouille lamentablement quand vous essayez de parler... Vous voyez le tableau. Yorick était là, à danser d’un pied sur l’autre, attendant ma réaction. Pour cacher le feu qui me montait aux joues, je le repoussais d’un geste brusque avec un grand sourire. En m’élançant dans la caverne, je criais un “Cap ou pas cap !”, franchissant pour la première fois la limite que nous nous étions fixée implicitement. On dit que c’est toujours le premier pas qui coûte. C’est vrai. En courant comme une dératée dans le tunnel obscur, je me sentais incroyablement libre. Des ailes me poussaient dans le dos, mes pieds esquivant naturellement tous les obstacles dans l’obscurité grandissante. Je m’enfonçais toujours plus loin dans les galeries, l’air se réchauffant à mesure de ma progression. Je sentais sur ma peau brûlante des gouttelettes d’humidité tomber à intervalles irréguliers, l’eau suintant du plafond de la grotte. Par moments, on pouvait distinguer une lueur bleuâtre se refléter sur les parois, qui provenait des flaques d’eau stagnantes au sol, donnant une impression irréelle à ce lieu. Je m’arrêtais bientôt pour surprendre Yorick que j’entendais courir derrière moi. Je lui sautai dessus au détour d’un virage, lui flanquant une frousse de tous les diables. Profitant de mon avantage, je posai mes lèvres sur les siennes, mettant fin à des années d’amitié fraternelle.

Combien de temps s’était écoulé depuis que nous étions rentrés dans cette caverne ? La réalité ne semblait plus avoir de prise sur nous. Comme tous les amoureux, nous croyions que nous étions seuls au monde. Mais nous nous trompions lourdement. Un rugissement effrayant se fit entendre, beaucoup trop près de là où nous nous tenions enlacés. Nous n’eûmes pas le temps de ramasser nos affaires qu’une gigantesque bête cornue émergea du fin fond de la grotte, donnant une forme très réaliste à nos cauchemars de gosse. A en juger par la couleur argentée de son pelage et à ses multiples cicatrices, il n’était plus tout jeune. Mais pas pour autant moins redoutable. Il poussa un cri horrible, battant son poitrail de ses poings griffus en signe de défi et s’apprêta à charger. Yorick m’attrapa par la main et nous nous précipitâmes vers la sortie, courant à perdre haleine dans le labyrinthe obscur. Le chemin était beaucoup plus ardu qu’à l’aller. Je n’y voyais rien, aveuglée par la terreur, sentant l’haleine fétide du monstre tout proche me chatouiller l’échine. Mais Yorick me tirait en avant, ses yeux ayant une bien meilleure acuité dans le noir. A un embranchement, nous marquâmes une hésitation. Cette seconde de doute suffit au vieux yéti pour prendre l’avantage. D’une poigne acérée, il m’attrapa par la jambe, me faisant chuter sur la roche abrupte. Un nuage de points blancs envahit ma vision, tandis qu’une terrible douleur se répandit dans ma jambe droite. Le yéti me traîna sous son énorme corps, ouvrant largement sa gueule pleine de crocs cassés. Je hurlai en tentant de me dégager mais son énorme poing me collait au sol, le poids d’une montagne écrasant ma poitrine. J’allais mourir là, dévorée vivante par cette chose. Une fin que je ne souhaiterais pas à mon pire ennemi.

C’est alors qu’un bloc de roche vint s’écraser sur la tête du monstre, avec une efficacité redoutable. Sonné à son tour, le yéti relâcha son emprise pour se tenir la tête de ses deux grosses pattes en grognant de douleur. Yorick m’attrapa par l’épaule et me remit sur mes jambes en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Ignorant la douleur de mon mollet blessé, je courus à perdre haleine vers la sortie toute proche. Ma jambe m’abandonna une fois sortis de cet enfer. Dehors il faisait nuit noire et la tempête soufflait furieusement dans les pins. Je tombai lourdement dans la neige, prête à m’évanouir. Les rugissements du yéti furieux m’indiquaient qu’il n’allait pas tarder à nous rattraper. Désespéré, Yorick entreprit de me porter, mais nous n’aurions pas été loin dans le blizzard, mon sang traçant un itinéraire précis de notre trajectoire. Me dégageant de l’emprise de mon aimé, je m’affalai dans la neige, savourant la fraîcheur de la neige qui apportait un certain soulagement à mon mollet lacéré.
- Skäli, qu’est ce que tu fous ? Bouge tes fesses de là et en vitesse !
Je repoussai la main de Yorick :
- On s’en sortira pas tous les deux, et tu le sais ! Sauve-toi ! Dis… dis à mes parents que c’était ma faute, que c’est moi qui nous ai entraînés dans la caverne !
Les grognements se rapprochaient dangereusement. La silhouette de Yorick faisait comme une ombre immobile sous la lune, un roc dans la tempête. Sa main attrapa mon menton et ses yeux luisants brillaient étrangement dans la nuit :
- Je dirai rien à personne, t’entends ? Si tu restes ici, je reste avec toi !
Il serrait mes mains dans les siennes à m’en faire éclater les jointures, agenouillé dans la neige. Il posa brièvement son front contre le mien avant de se relever brusquement et de gueuler en battant des bras :
- Viens donc ici, grosse andouille ! Le casse-croûte est prêt ! Allez amène-toi ! Viens tâter du nain, un peu pour voir !
Il beuglait de toutes ses forces tout en me faisant un rempart de son corps. Il défiait la mort personnifiée, les poings serrés, prêt à en découdre. Il était mon gardien de pierre, forgé par Khaz Goroth lui-même. L’ombre de la bête n’était plus qu’à quelques pas, désormais. Je me redressai comme je pus dans la neige. Je n’allais pas laisser Yorick défendre seul notre honneur. C’est alors qu’une centaine de points lumineux émergèrent d’entre les arbres. Les points se transformèrent en flammèches tordues par le vent, les cris des patrouilleurs nains emportés dans la tempête :
- Par là ! Ils sont sur la colline ! Tuez la bête !
Les ours des gardes forestiers chargèrent le yéti, dans un combat sanglant mais bref. La bête monstrueuse s’effondra lourdement dans la neige, mettant fin au cauchemar.

- Est ce que tu imagines un peu la peur que tu nous as faite, Skäli ?
La voix de mon père tonnait dans ma petite chambre. Je restais la tête basse, à affronter l’orage. Ma mère, assise à mon chevet, se tenait elle aussi contrite, comme sous le joug de la fureur de mon paternel. Lui ne cessait de faire des aller-retour dans les quelques mètres entre le mur et mon lit, me pointant d’un doigt accusateur :
- Combien de fois t’ai-je interdit de traîner avec ce Sombrefer ? Cet oiseau de malheur ! Si je le choppe, je le fume, une bonne fois pour toutes, ce fils de chien !
Je redressai brutalement la tête à ces menaces :
- Si tu fais ça, tu ne me reverras jamais !
C’était la première fois que j’osais affronter mon père. Il écarquilla les yeux un instant, décontenancé. Ma mère plaqua ses deux mains sur sa bouche, terrorisée. Elle n’osait imaginer ce qui pouvait se produire, alors que personne n’avait jamais défié l’autorité d’Yvar Foidefer. Mon père vira au rouge brique et siffla entre ses dents :
- Tu peux me répéter ça, ma fille ?
Je me dépêtrai comme je pus de mes couvertures et me levai de manière aussi assurée que je le pus, avec ma patte estropiée. Je regardai mon père droit dans les yeux et déclarai d’une voix calme :
- Je l’aime, papa. Que ça te plaise ou non.
Mon père sembla tomber des nues, bredouillant des choses inintelligibles. J’avais toujours vu mon vieux comme un héros de Forgefer. Sa voix puissante m’impressionnait, sa stature imposante  et son côté fier-à-bras m’avaient toujours donné l’impression qu’il était invincible. Et voilà que ce titan parmi les hommes restait planté là les bras ballants, le front transpirant, la chique coupée. Je remarquai pour la première fois les quelques poils grisonnants dans sa barbe noire. Quelque part dans mes tripes, je ressentis une vague de tendresse pour ce vieux grigou colérique. Il avait fait tant d’efforts pour incarner le plus puissant des pères ! Mais j’écartai bien vite ce sentiment pour me concentrer sur ma rage adolescente et sortis la tête haute, ma béquille à la main, dans un concert de sanglots maternels.

Quand j’arrivais chez les parents de Yorick, je les trouvai tous deux prostrés près du foyer éteint. Il régnait un silence sépulcral dans la petite demeure bien rangée. Un froid glacial m’envahit, me tétanisant sur place. Quelque chose s’était produit. La mère adoptive de Yorick redressa la tête et posa sur moi un regard d’une infinie tristesse :
- Je n’ai… Je n’ai jamais su… Il était si différent…
Affolée, je criai :
- Où est-il ?
Le père dit d’une voix trop calme :
- Il est parti, dans la nuit. Il ne reviendra pas. Il a laissé quelque chose pour toi, dans sa chambre.
Là bas, je trouvai une note sur le lit, quelques mots griffonnés à la hâte. Yorick n’avait jamais été un littéraire dans l’âme.

“Ne m’en veux pas, ma jolie ! Tu sais bien que je n’ai jamais été des vôtres… Et ça commence à chauffer un peu trop pour mon matricule par ici... Il est temps pour moi d’aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte. J’ai toujours rêvé d’aventures ! Je sais que tu es forte. Montre leur à tous ce que t’as dans le ventre. Rend moi fier ! Je t’aime, Yorick.”

On ne devait se retrouver que bien des années plus tard mais je compris son choix, comme ses errances, lui qui cherchait toujours sa place dans le monde... Il sera mort avant de l’avoir trouvée… Je reprends pied dans la réalité, les doigts douloureux d’avoir trop serré la pierre dans ma main. J’ouvre péniblement les yeux dans le soleil qui se lève doucement. Le Old Bill craque bruyamment dans la brise du matin, fatigué des péripéties de la nuit. Les hommes hébétés titubent sur le pont, encore gris du rhum de la victoire. Périlla, elle, pointe énergiquement son sabre dans une direction éloignée :
- Allons allons, du nerf, les mollusques ! Cabestan est là ! Le Old Bill va pas s’amarrer tout seul !

Les yeux plissés à cause du soleil qui me tape dans les yeux, je distingue l’ombre d’une terre au loin, et des oiseaux de mer qui planent au dessus de nos têtes en criaillant. Il est temps de laisser ma peine derrière moi, d’affronter mon destin et de le rendre fier.


A suivre...

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