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Les dernières heures du Brumeloup

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Message  Orshan Sang d'Ours Mar 19 Aoû 2014, 10:48

J'entends encore le bruit de la cascade qui disparaît derrière moi. Je m'en éloigne peu à peu. Pourtant, je ne sens pas le sol sous mes bottes, je ne ressens pas la fatigue de la marche parcourir mes jambes. Un rythme soutenu agite ma carcasse et me fait mal aux tripes. J'ouvre les yeux. Le sol est brumeux, flou et distant. J'ai l'impression que mille moustiques s'acharnent sur ma rétine. Une odeur infecte remonte dans mes narines, un parfum que je reconnais bien. La puanteur des Trolls est sur moi... Je sens leurs bras qui m'agrippent aux épaules, aux mollets. Je peux presque voir leurs rictus victorieux. Je suis révulsé, je voudrais leur vomir ma colère à la gueule. Mes entrailles me piquent... Je pousse un râle d'assoiffé et tout redevient noir.

Ils me balancent dans une cage en fer rouillé et m'abandonnent là. Mon corps est brisé. Le torrent l'a épuisé, les masses l'ont cassé, la faim l'achève peu à peu. Je reste longtemps sur le sol gris de métal, entendant des plaintes et des grognements autour de moi. Où sont mes Noirsangs ? Sont-ils parvenus à tuer le maléficieur ? Nazdragor est-elle engloutie ? Depuis combien de temps suis-je ici ? Je ressasse mon échec sans conscience des minutes et des heures quand je suis tout à coup retourné par un pied non botté. Vert, cinq orteils, qui sent le fumet des soldats de la Horde.
"M'a l'air vivant."
"Laisse-le, Gurduk. Moi, m'a l'air bien entamé. Et vieux. Il passera pas la nuit, et ça fera de la bouffe pour les raptors."
"Sa gueule poilue, je l'ai déjà vue quelque part. La tête de loup."
"Il est rien, ici. Il va mourir, comme nous tous."
Les mots résonnent dans mon crâne. La discussion se poursuit, mais je ne suis plus là pour l'écouter. Ma tête bourdonne. Je tente de ramper au sol, de me relever lentement. Mon sang noir me brûle, j'ai l'impression que mes veines vont exploser. Mes bras tiennent bon, je me retrouve à quatre pattes comme un worg, je ne me soucie même plus de l'humiliation que je m'impose.
"Ha, tu vois bien ! Il est pas complètement cuit. Ça m'a l'air d'être un coriace."
Orshan le Coriace, celui qui ne lâche jamais son dernier soupir. Je pense à mon endurance, à ma longévité, aux épreuves auxquelles j'ai survécu. Je regarde autour de moi, et malgré le filtre embué qui recouvre mes yeux, je perçois la cage minable dans laquelle sont entassés une demi-douzaine d'Orcs. Le métal a l'air faible, les deux gardes Trolls tout autant. Ça, une épreuve ? Une pauvre tribu de la jungle qui n'a jamais connu le champ de bataille, des Gurubashis en haillons qui n'ont en tête que leurs rites macabres et les femelles qui se trémoussent devant le grand feu. Et c'est ici que viendrait la dernière heure du Brumeloup ?
Je ne laisserai pas une telle insulte souiller ma mémoire. Je me redresse sur le cul et je m'adosse aux barreaux de la prison. Sous mon masque de colère retenue, je lutte pour ne pas m'effrondrer de fatigue et de douleur. Je m'enferme dans ma carapace, protégé par mon armure encore solide malgré les coups. J'attends mon heure. La dernière heure du Brumeloup.


Dernière édition par Orshan Brumeloup le Mer 27 Aoû 2014, 23:59, édité 2 fois
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Message  Orshan Sang d'Ours Mar 19 Aoû 2014, 10:49

Ils m'ont laissé mon masque, ma tunique, mes jambières. Je touche la peau de loup qui trône sur mon crâne. C'est peut-être lui qui me sortira de ces barreaux de fer. Lui qui attend dans l'autre monde depuis si longtemps et que j'ai trop peu imploré ces derniers mois... ces dernières années. En tailleur dans mon coin de la cage, les mains sur les mollets, je toise le reste des prisonniers. Ils me renvoient des regards suspicieux. Aucun ici ne doit savoir qui je suis. Ignorants et péons, incapable de distinguer un chef d'un grunt. Je n'ai pas besoin d'eux. Je ferme les paupières et je me tourne vers mon salut.
Méditer. Voir à travers le mur de la mort. S'extraire de sa propre carcasse pour observer le monde du dessus. Un chaman connaît les rites et comprend les gestes. Les guerriers le regardent comme s'il était en possession d'un pouvoir qui les dépasse, mais pour lui, ce n'est que répétition de ce que son maître lui a enseigné. Il doit perpétuer les actes pour ne pas les oublier. Même s'il doit défendre les siens de sa hache, même s'il doit grogner avec le troupeau, et parfois prendre sa tête, il doit toujours répéter les gestes. Et moi, le Chef du Clan Noirsang, cela fait bien trop longtemps que je reste à l'écart des murmures des esprits.
J'ai trop répété les gestes pour pouvoir les oublier, mais je me sens rouillé de ne pas avoir assez honoré mon titre de chaman. Les murmures sont un brouhaha qui me vrille la tête et les ombres des esprits sont autant de lunes vives qui m'aveuglent. Je tente de percer le brouillard. Je ne suis plus dans la cage, je suis dans la montagne, là où j'ai combattu le vieux loup et pris sa vie, là où j'ai honoré son cadavre et découpé sa gueule. Je le cherche. Je sais qu'il doit être là, à laper l'eau du ruisseau ou le sang d'une proie. Il m'attend, comme à chaque fois. C'est ce qui doit être. C'est ce qui a toujours été.
J'avance entre les arbres. Ma vue est plus claire. Mes sens rajeunissent. Le loup... n'apparaît pas. Où est-il ? Je le cherche du regard, tournant comme si j'étais éveillé pour le débusquer entre les buissons. Mais mes tripes me parlent mieux que mes yeux. Il n'est pas là. Ni visible, ni caché, ni proche ni loin, il est ailleurs. Il est parti.
Parti. Mort depuis si longtemps qu'il a suffit que je l'oublie quelques instants pour qu'il disparaisse enfin du monde des Esprits. Il est maintenant arbre, feuille, roc, oiseau, quelque chose de neuf que je ne connais pas et ne connaîtrai jamais. Lui qui a vécu à travers moi tous les instants de ma vie. Il n'est plus. Il est parti et mon coeur bout de rage.
Je renverse ma tête en arrière et pousse un rugissement à faire trembler le monde spirituel lui-même. Bien sûr, il n'en fait rien, narquois dans son silence et son immobilité. Je rugis à nouveau, et plusieurs fois, laissant s'échapper le flot de désespoir haineux. Je reprends mon souffle ensuite, épuisé.

J'ai arraché mon masque. Il est toujours là, sur ma tête de mortel, mais mon esprit l'a jeté de toute ses forces dans le ruisseau. J'ai quitté l'au-delà et me suis prostré dans la cage, la gueule enfouie dans mes fourrures. J'attends. Je ne sais pas ce que j'attends, mais mes poings sont serrés et ma gorge sèche. J'attends et je suis prêt à bondir.
Ils viennent à trois et mes poings sont impuissants. Les autres Orcs ne bougent pas quand les Trolls m'empoignent par la tunique et me traînent dehors au milieu des leurs. Ils m'entourent tous. Ma cervelle est comme chauffée à blanc dans mon crâne et l'arrière de mes yeux brûle d'un feu infâme. Je lève le menton et c'est leurs regards qui sont posés sur moi. Ils ont leurs grimaces habituelles de Trolls, rictus et moues sanguinaires. Certains se lèchent les lèvres. C'est leur festin qu'ils contemplent.
J'en distingue quelques uns montés sur des raptors, au loin. Ils n'ont pas les défenses noires de la pathétique tribu qui m'a piégé, non. Ils ont la crinière drue et les peintures de visage des Trolls de la Horde. Les Sombrelances sont venus voir ma fin.
Un Croc-Brisé en grande robe mauve s'approche et m'attrape la coiffe, tirant ma tête en arrière pour mieux m'humilier, moi qui suis déjà à genoux. Nos yeux se croisent un instant et je lui crache au visage avant que ses chiens ne me rouent de coups de masse. Ils me prennent ensuite les bras tandis que le sorcier affiche un grand sourire.
"Voyez, frère, ce que le grand chef Noirsang, il cache comme sale trogne sous sa peau de bête !”
Je ferme les paupières et sent l'air me frapper la face, puis soulever ma chevelure. Je les rouvre lentement. Le masque est dans les griffes du Troll. Ses frères rient à gorge déployée de leur sale tour. Ils ont rabaissé au rang de mortel celui qui avait pris l'apparence de leur pourfendeur. Ils ne voient que ça en moi. Un grand chef ennemi ramené à la condition de simple orc. Mon masque et ma gueule tordue sont leurs trophées.
Je relève le regard vers les Sombrelances. Leur capitaine ne rit pas. Il sait. Il a compris. Les autres, ce ne sont que des sbires insignifiants, ils n'ont jamais quitté leur jungle et ils ne la quitteront jamais. Mais lui, là-bas, perché sur son raptor, il en connaît plus et il sait ce qui vient de lui être révélé.
Le sorcier prononce quelques mots dans son parler bâtard et les Trolls achèvent de me mettre nu, avant de me traîner dans la fange jusqu'à l'entrée de leur camp. Je regarde mon ancienne cage : les autres Orcs sont sortis tour à tour de la prison et menés vers moi. Je sens l'acier froid me compresser les poignets, puis un poids peser sur mes épaules. Je suis sur mes pieds, le corps presque sans protection. Quelque chose me pousse le dos. Mes geôliers crient des ordres et je comprends que c'est pour moi, pour nous, pour la troupe des prisonniers.
J'avance, privé de mon esprit-loup de chaman et de mon masque de Chef. Tout ce qui symbolisait ma force. Tout ce qui me faisait Brumeloup.
Orshan Sang d'Ours
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Message  Orshan Sang d'Ours Mar 19 Aoû 2014, 10:51

Nous marchons. Nos épaules supportent le poids de longs rondins de bois, nos mains y sont enchaînés, nos bras sont écartelés, et pire que tout, nous ne pouvons que regarder le sol, le dos courbé par la masse. C'est la pire posture pour un Orc d'honneur. C'est la position de l'esclave. C'est peut-être ce qui nous attend. Je ne peux voir que les deux prisonniers à ma gauche et à ma droite : ils ont l'air solides, eux aussi. Leurs bras sont forts. Ils ne montrent pas leur fatigue. Ils tiendront peut-être dans les arènes trolles. On dit qu'elles pullulent au sud de la jungle.
Ces Trolls sont fous si c'est ce qu'ils ont en tête. S'ils glissent une hache au creux de ma paume, je sais quelle sera ma proie. Peu importe leurs armures, leurs machettes et leurs représailles. Un Orc se doit de mourir l'arme à la main. A défaut de partir Brumeloup, je partirai Orsh'Han, le coeur fier. J'ai presque envie qu'ils nous conduisent jusqu'à leurs cercles de combat... Mais je me doute que c'est un sort bien plus terrible qui nous attend.

On ne s'arrête pas. On mange peu. On boit ce que la pluie nous offre et l'on ne quitte jamais nos chaînes. La nuit n'est pas tombée que chacun croit avoir traversé la jungle de bout en bout. Mais il ne s'est pas écoulé plus d'un jour depuis qu'ils m'ont pris. Je sais que la route sera longue. A force de marcher, on s'échange des regards avec les deux autres. On se comprend. Chacun saura se montrer fort lorsque le moment viendra. Nous n'avons qu'une pensée, la liberté, et qu'une envie, la vengeance. Nous brûlons d'obéir à nos pulsions.
L'attaque nous prend tous de court, geôliers et prisonniers. Je palpais dans l'air une colère de plus en plus vive. Je croyais que ce serait celle de mes frères. C'était celle de mes ennemis.
Nous entendons leur cor rugir dans les fourrés, puis nous en voyons plusieurs sortir de la jungle devant nous. Je reconnais tout de suite leurs gueules amochées, mutilées par leurs propres mains, dépecées en plusieurs endroits par loyauté à leur tribu. Des Crânes-Rouges. Les ennemis de nos geôliers, et nos ennemis tout autant. Ils ne nous libèreront pas. Peut-être vont-ils nous achever. Peut-être vont-ils nous capturer à leur tour. Et peut-être que nous ne nous laisserons pas faire.
Les Crocs-Brisés sont pris par surprise et doivent se défendre. C'est leurs vies avant les nôtres. Nous devons donc nous défendre nous-mêmes. Je me redresse, ne redoutant plus les coups de masse. La branche de bois sur mon dos est autant un fardeau qu'une arme. Je pivote et prend conscience de la situation. Les Crânes-Rouges sont devant et derrière nous, les Crocs-Brisés sont massés les uns sur les autres, les Orcs ont compris que c'était leur destin qui se jouait. J'en vois qui tentent de courir à travers la jungle, préférant la survie. D'autres tournent et retournent leurs épaules, frappant les crânes de Trolls de leurs rondins enchaînés. Je me retrouve près d'eux, attaqué par deux faces rouges, prêt à défendre ma peau. La masse de bois percute la poitrine de l'un, lui coupant le souffle, et je sens la machette de l'autre trancher mon flanc. La douleur est forte, et ma rage s'en voit décuplée. J'envoie mon arme de fortune enfoncer le crâne du Troll. Un rugissement s'échappe de ma gueule : je ne l'ai pas senti venir. Il me fait du bien.
Autour de moi, les combattants tombent un à un, et je ne sais pas quelle tribu peut l'emporter. Je vois les autres prisonniers fuir, mourir, être vaincus à nouveau. Je pense à mon honneur. Je pense au Clan. Je pense aussi à ma femelle qui m'attend, à mon fils dans son ventre. Mon masque pris comme trophée, mon nom immérité. Je réfléchis encore quand la flèche me transperce le dos et crispe tous mes muscles. Mes dents se serrent. Mes genoux touchent le sol. Autour de moi, les bruits de combat se poursuivent. Ma tête s'enfonce dans le sable. Je pense que j'ai trop réfléchi, puis tout devient noir.
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Message  Orshan Sang d'Ours Mar 19 Aoû 2014, 10:54

On m'amène les porcs verts. Ils sont alignés à genoux, la lame de mes larbins sur la gorge. Il y en a certains qui lèvent le regard et font les fiers. D'autres fixent le sol et pensent que ça va les sauver. Ils croient tous que je ne la sens pas, leur sale odeur de peur. Eux, ils la sentent très bien, ils l'ont déjà sentie au combat, quand ils pensaient être les dieux.
Ici, c'est moi le dieu, et Samedi parle par ma bouche, il dicte mes mots, il décide pour moi ce qui doit être fait. Je lui ai sacrifié la peau de mon crâne. Cinq lamelles à présent, une grande fierté pour un Crâne-Rouge. Je parle.
“Lequel est le chef tueur de ma tribu ?”
Les prisonniers ne parlent pas ma langue, car je m'adresse à mes sous-fifres au crâne aussi dépecé que le mien, et je vois l'impatience dans le blanc de leurs yeux. Ils attendent la récompense, la mise à mort de leurs nouveaux chiens. Je leur ai dit d'attendre, je leur ai retiré le privilège du sang et ils m'en veulent pour ça. Certains se sont contentés de découper l'oreille d'un Orc et de la porter en colifichet. Mais leurs machettes laissent de jolies marques sur les cous des porcs verts.
L'un de mes frères acquiesce. Il a les deux déchirures d'un Exalté, plus un troufion mais pas un grand guerrier. Il pointe son Orc du doigt puis se met à parler d'un flot continu, bafouillant dans sa fierté.
“Grand Maléficieur, lui, il était près du chef Croc-Brisé, et y'avait un raptor près de lui et sur le raptor, il y avait un sac, et dans le sac, il y avait une armure, et puis un masque comme celui du chef loup.”
Il s'interrompt, un sourire jaune et noir sur la gueule. Je le lui rend. Il a été un bon serviteur.
Je m'accroupis près de l'Orc, je lui prends le menton entre les doigts et le tourne. C'est sa petite bouche que je regarde, il a ses deux crocs et des lèvres ridées. Sa barbe, maintenant. Elle n'est pas courte, pas longue, elle est brune. Je lève les yeux sur le reste, mais ça n'a pas d'importance, on dit qu'il ne quitte jamais son masque.
“C'est lui, Shirvallah m'est témoin, c'est lui et je le vois. Mes frères ! C'est lui, le tueur de notre chair, c'est lui le Loup Orc !”
Ils rient et ils acclament. Moi aussi. Ils savent ce qui va suivre, ils s'en délectent. Moi aussi. Les Orcs, eux, ils grognent, ils regardent le chef, et lui secoue la tête comme un damné. Il sent la peur, comme les autres. Il ne sait pas ce qu'on dit, mais il sait que ce n'est pas bon pour lui, pas bon du tout, alors il nie, il nie sans savoir. Il nie encore quand les Sacrifiés le tirent en arrière, quand les autres égorgent enfin leurs chiens et goûtent le sang de la proie.
Je me tourne et marche vers l'autel. La lente communion avec les Loas m'attend.
Orshan Sang d'Ours
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Message  Orshan Sang d'Ours Mar 19 Aoû 2014, 10:55

La lumière de la nuit s'infiltre dans ma prison à travers la grille du plafond et me baigne. Attaché aux pieds et aux poignets sur cette planche inclinée, je récupère d'une autre journée de coups et de châtiments. Ils en ont eu assez de me frapper. Cette fois, le plus petit d'entre eux a sorti son coutelas et la torture a commencé. Mes ongles ne leur ont pas suffi. Ils voulaient que j'hurle. Ils ont piqué là où il fallait. Ils ont enfoncé leur lame aux bons endroits, jamais mortels, jamais handicapants, toujours meurtriers. Et jamais aucune question. Jamais aucune parole. Rien que des ricanements. Rien que des rictus de Troll.
Je sais bien ce qu'ils préparent. Ils vont me mener jusqu'en Kalimdor, peut-être par la force de mes bras, et ils continueront à m'affaiblir. Puis ils me traîneront dans les rues d'Orgrimmar, enchaîné, tenu en laisse à la vue des habitants pour que ceux-ci mesurent bien la déchéance qui sera mienne. Ils me mèneront jusqu'à Vol'jin et c'est lui qui prendra ma tête pour la planter sur une pique dans la Vallée de la Force. Ma sale face cabossée sera exposée jusqu'à ce que le vent, la chaleur et les insectes la réduisent en charpie et que mon nom s'efface des esprits.
Je n'ai pas revu l'extérieur depuis l'embuscade. Ils me gardent à l'écart. Ils redoutent peut-être une nouvelle attaque. Je ne sais pas où je suis. Sur la terre ferme, c'est tout ce dont je suis sûr.
Je serre les poings à nouveau, comme si cela pouvait atténuer mes douleurs. Le pire est à venir. Il n'y a rien que je puisse faire.

La porte se déverrouille. J'ouvre l'oeil. Le soleil passe par mes barreaux et m'aveugle au moment où une forme s'infiltre dans ma cellule, suivie d'une autre. Je sens qu'on me détache. Mes pieds glissent sur le sol de vieilles pierres rugueuses, ils me tiennent pour ne pas que je tombe. Je me sens transporté. Mes yeux se ferment puis se rouvrent. La jungle. Des huttes de bois et de paille. Des Sombrelances prêts pour une nouvelle guerre. Peu me dévisagent. Ma vue baisse à nouveau. J'ai l'impression de perdre pied.
J'entends la mer. J'entends des voix. Mes bras et mes jambes touchent une surface froide et lisse. Je me sens tanguer. J'entrouvre les yeux et je vois mes geôliers qui parlent avec un humain vêtu de couleurs chaudes. Quelques mots parviennent jusqu'à mes oreilles, prononcés avec insistance, fortune, délai, éperon, silence, Horde, Horde, Horde... Je les vois s'incliner tour à tour, puis l'homme monte dans ma chaloupe avec l'un des Trolls. La barque bouge. La barque tangue. Je sombre.

Le reste n'est que maladies de l'océan et somnolence entrecoupées de brèves veilles. Il fait noir. J'entends le grincement du bois. Je sens le froid métal sur ma peau. Dans mes rares moments de lucidité, je sais que ma prophétie se réalise. Je suis en route pour Kalimdor. Le déshonneur m'attend.
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Message  Orshan Sang d'Ours Mer 27 Aoû 2014, 23:50

C'est trop tôt. J'ai senti la coque toucher quelque chose, puis le navire s'est arrêté et des dizaines de bottes ont martelé le pont. Même depuis la cale, je peux entendre leurs voix fluettes, leurs braillements porcins, leurs ricanements sadiques. Tous, peaux roses, Gobelins, ils s'agitent, ils chargent et déchargent leurs marchandises infectes, ils plaisantent, ils gueulent leur parler de pirates comme s'ils en tiraient de la fierté, ils balancent des seaux d'eau sur le bois du bateau comme si celui-ci ne l'éprouvait pas déjà depuis sa naissance.
Ils ne m'ont pas nourri. Ils ne sont pas descendus jusqu'à ma prison de fortune. Pourtant, je ne sens pas la faim, je ne sens pas la fatigue. Mes chaînes ne me sont pas encore familières, et mes bras ne sont pas encore mous comme après vingt jours de repos forcé. Je sais à quel point le temps peut être trompeur en geôles, j'ai déjà senti comme il s'étire infiniment dans les esprits ou, lorsqu'il est déjà tard, comme il file sans qu'on se sente le vivre. Mais cette fois, je me fais confiance, et plus que tout, je fais confiance à mes tripes. Je ne suis pas ici depuis un mois, ni même une semaine. Une journée, deux tout au plus, voilà ce qui me sépare du départ. A moins qu'un fils du Vent d'une puissance inouïe ne mène ce navire, nous ne pouvons être en Kalimdor.

On vient finalement me chercher et je sors de la coquille de bois. Avant que mes yeux ne s'habituent à la lumière, je ressens un vent brûlant me frapper le corps et une chaleur sèche s'abattre sur moi, légère après le périple dans la moiteur de la jungle. Je vois du sable, je vois de l'eau claire comme le ciel qui me rappelle les yeux de ma femelle. Je vois des multitudes de rochers lisses qui jaillissent de l'océan pour former mille îlots bruns et jaunes. Plus près de moi, niché au creux d'une de ces pointes ensablées, je vois des baraquements de mauvais bois, des palissades brûlées par le soleil, des docks grouillant de pirates aux foulards et tenues ocres.
Plus près encore, sur le pont de notre navire, je vois leur chef, le “capitaine” comme ils disent, se rapprocher de moi, ou plutôt m'attendre alors que ses colosses me traînent jusqu'à lui. Derrière lui, le Troll que j'ai vu monter dans la barque a troqué son harnais de cuir pour le même pourpoint orange que les pirates. Il affiche ses dents souriantes, satisfait de lui-même, et je crois comprendre ce que ça veut dire.
Je suis mis à genoux. Les mains sèches des sbires appuient sur mes épaules nues. Je lève la tête vers leur maître et sa redingote colorée. Je me demande si les poils sous son nez ont été lissés chaque matin comme la natte d'une femelle pour ressembler à ces deux pointes fines. Je pense à ma propre femelle entortillant sa crinière devant son reflet, dans l'eau du lac salé près de Nazdragor où elle est restée. Le claquement du gant jauni sur ma joue me sort de mes songes. Le capitaine sourit derrière sa moustache.
“Ce bestiau que vous appelez Chef Orc me semble quelque peu usé pour le rôle, vous ne trouvez pas, Troll ? J'en ai vu des plus fringants lors de mes classes.”
“Vous devez pas croire ça, maître capitaine. L'Orc, il a la longévité dans le sang. Ça se voit même sur son visage, le grand émissaire il m'a dit. C'est un survivant.”
“Ah, ça, je dois bien reconnaître que c'est une étonnante découverte que celle-ci. J'avais oui dire que de tels spécimens existaient, bien entendu, mais je ne pensais pas en voir un jour. Je suis malgré tout déçu, sachez-le, car celui-ci est bien moins monstrueux que je l'escomptais.”
La salive s'agglutine entre mes lèvres et je tente de cracher sur l'homme, mais le filet touche à peine ses bottes et ses marins me frappent aussitôt partout où ils le peuvent. J'attends que ça passe, et lorsque le capitaine les interrompt, je lui adresse un rictus de haine et de menace.
“Hé bien, “chef”, voilà déjà une réaction plus commune pour les gens de ton espèce.”
“Libère-moi, éructé-je, libère-moi et donne-moi une arme, et nous verrons bien lequel de nous deux est le plus usé.”
“Je suis un piètre jouteur, je le crains. Et j'ai d'autres projets pour toi.”
Je me débats un court instant avant de lâcher quelques mots.
“Le Sombrelance a donc bien trahi les siens. Combien pour sa fourberie ? Et pourquoi ? Qu'est-ce que tu veux de moi, chien d'homme ? Je n'ai pas de trésor à te donner !”
“Nous allons bien voir à combien ces idiots de la Horde estiment ta tête. Et si leur prix est insultant, nous te trouverons bien une foire quelconque où les animaux de ton genre ont leur place.”
“Ils paieront, maître capitaine, sussurre le Troll d'une voix confiante. Nimbaya, il sait.”
“Oui, oui. Bien. Trouvez-lui une petit fosse tranquille où il ne gênera pas.”
Je rugis et je bave de rage pendant qu'ils me traînent jusqu'aux docks, je tourne la tête derrière moi et cherche à nouveau le regard du capitaine, mais celui-ci s'engouffre dans son bateau et mes gueulements n'attirent que les rires de quelques pirates en sueur.
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Message  Orshan Sang d'Ours Dim 31 Aoû 2014, 01:40

Le loup est mon seul espoir de retrouver ma liberté. Mon animal totem, l'esprit qui a veillé sur moi pendant que les autres chamans se tournaient vers des forces démoniaques, celui que je retrouvais dans l'autre monde chaque fois que ma solitude me pesait, ou lorsque je devais lui emprunter sa force de bête.
Peut-être n'a-t-il pas fui. Malgré les longues années écoulées, malgré mon infidélité et ma honte, et même si mon masque m'a été ravi par des adorateurs des Loas, le loup ne peut m'avoir abandonné comme je l'ai abandonné. Son esprit est toujours là, entre deux mondes, tant que je pense à lui et que je sais qu'il existe.
Dans la grande cage de fer de cette cariole de vieux bois qui me mène peut-être aux Sombrelances, ou jusqu'à une de ces foires dont parlait le capitaine, je reste accroupi contre les barreaux et le roulis métallique m'aide à trouver le repos. Je tente d'appeler le loup et de le faire venir à moi, je tente de le rejoindre au milieu d'une forêt grise ou dans les montagnes où nous nous sommes trouvés, je cherche son pelage des yeux au-delà de mes paupières fermées.
Je pense à sa fourrure, je pense à sa gueule animale. Il avait le poil gris... non, brun, brun comme ma peau, touffu et râpeux. Après que je l'aie éventré, j'ai passé de longs instants à caresser ce poil pour qu'il rende son dernier souffle.
Sa gueule... Il était marqué comme un vétéran, je me souviens de longues griffures qui partaient de sa mâchoire et remontaient jusqu'à l'oreille. J'ai su plus tard que c'était l'oeuvre d'un autre loup désireux de prendre sa place dans la meute. Mon worg était resté solitaire depuis.
Ses yeux... Il est resté longtemps à me regarder, installé sur mes genoux, ma main dans son pelage, alors que le sang de sa blessure s'écoulait sous lui. J'y ai vu les derniers instants de vie, la satiété du guerrier qui a combattu honorablement et qui laisse la nature reprendre ce qu'elle lui a donné. Son regard s'est inscrit en moi et lorsque j'ai retiré la fourrure de son crâne, le plus dur fût d'abandonner les yeux à l'étreinte chaude de la mort.
Ils étaient clairs... Verts, ou plutôt gris.. Peut-être d'un bleu presque passé ? Je dois me souvenir... C'est ses yeux qui m'avaient marqué... Je sais qu'il me regarde toujours...
Je perds ma concentration. Je tremble. J'ai oublié. Je ne me souviens plus de ses yeux. Je ne les vois plus. Je les ai laissé s'effacer.
Je suis éveillé. Mes poings se serrent et frappent les barreaux derrière moi plusieurs fois, assez fort pour qu'un des pirates les cogne à son tour et me menace. Je ne dis rien. Le silence est ma réponse. J'ai perdu son regard. J'ai perdu le loup. Jamais je ne le retrouverai. Je suis perdu.

La cariole s'arrête et j'entends des bribes de voix qui se rapprochent. Je regarde autour de moi. Nous sommes arrêtés devant un mur blanc d'une quinzaine de pieds de haut. Les pirates discutent avec des Gobelins porteurs de massues lourdes et l'un d'eux, le seul qui ne soit pas habillé de mailles et de cuir mais d'une tenue violette délavée, s'approche en me regardant d'un air soucieux.
“L'esclave est pour un usage personnel ou pour l'arène ?”
“L'arène” dit l'un des pirates.
“Dans ce cas, ça nous fait 28 pièces de cuivre de taxe de passage, cinq par pirates, trois pour lui. Barkoga encourage les échanges commerciaux avec les prestigieuses compagnies de l'archipel. N'oubliez pas de le dire à vos capitaines !”
On passe la grande porte. Le soleil est au plus haut, et même à l'ombre de la cariole, je le sens qui brûle de ses flammes invisibles le sable des ruelles et les toits jaunes. On m'avait dit que les bourgs gobelins étaient toujours pleins à craquer, remplis d'une foule crasseuse et fourbe. Ici, je ne vois que des étals vides et des portes fermées. On dirait une ville morte. Peut-être que c'est le destin de toutes ces cités de pierre et de fer qui recouvrent maintenant ce monde. Derrière l'agitation de leurs populations agglutinées dans les tavernes pour l'alcool et les banques pour l'or, la mort se cache, elle progresse comme un serpent dans les impasses et les passages. Tous ces gens des bourgs avec leurs métiers, leurs heures et leurs paies, ils récoltent leurs pièces, ils les dilapident pour acheter du pain sec, pour faire construire une hutte, ils oublient ce qu'est la chasse, ce qu'est bâtir, puis ils oublient ce qu'est la guerre et ce qu'est prendre une femelle, ils ne fondent plus de lignée et un jour, il n'y a plus de générations, plus que des gosses sans âge terrés chez eux par peur de ce qu'il y a dehors, de ce qu'ils ne savent pas affronter. Je les vois bien, derrière leurs fenêtres. Même lorsqu'ils font les fiers, c'est la peur qui reste accrochée à leurs yeux, lorsqu'ils passent devant un garde, lorsqu'ils croisent le regard d'une femme, même lorsqu'ils me dévisagent dans ma cellule, moi qui suis désarmé et marqué par les coups.
Je remarque qu'on s'est encore arrêté, cette fois au bord d'une place où trône une énorme cage de bois et de fer, plantée dans le sol et fermée comme un dôme au sommet. La couleur du sable en son centre me fait comprendre que c'est l'arène du coin. J'entends les pirates qui parlent d'or. On me vend, et pas aux Sombrelances. Le déshonneur de la marche dans Orgrimmar est loin. Une autre humiliation m'attend, sans doute au milieu de ce cercle en compagnie d'autres prisonniers.

On ouvre ma cage, on me fait sortir par la force des massues. Je ne reste pas longtemps en liberté. On me pousse dans un bâtiment frais, on me fait descendre un grand escalier où je manque de dégringoler, on m'attire dans un grand couloir et l'on me balance dans une autre geôle. Plusieurs portes se ferment. Il fait noir. Ça sent l'enclos des bêtes.
Je regarde autour de moi. D'autres cages comme les miennes sont disposées en ligne. Chacune renferme un prisonnier. Et ceux qu'on garde me dévisagent en grognant, montrant des crocs qui n'ont rien d'Orc.
Des ours.
Orshan Sang d'Ours
Orshan Sang d'Ours


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