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Le nom de la Chimère

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Message  Semelys Ven 16 Jan 2009, 16:01

------- Pas de rêves pour les Sans-Repos



Tu es venue à moi.

Je me souviens des ombres qui couraient dans tes cheveux, et de ta posture, si droite, si paisible, face aux portes de la Cathédrale. Tu me tournais le dos. Et j'imaginais sans même la voir la douceur redoutable de ton visage.

Pourquoi es-tu venue ? ai-je alors demandé.


- Je suis venue parce que tu m'as appelée, Semelys. "


C'était ta voix, oui, sans être ta voix. C'était toi sans être toi. J'avais ton nom au bord des lèvres, au bord du coeur, sans pouvoir le prononcer. Quel était ton nom ? A cet instant je n'avais d'yeux que pour les ombres de ta chevelure, et pour ton pas, lent et calme, qui s'effaçait vers l'intérieur de la Cathédrale vide.

J'ai suivi. J'ai suivi parce que tu m'invitais, sans rien dire, à te suivre, et parce que je brûlais déjà d'envie de voir ton redoutable visage, et tes yeux, et de connaître enfin ton nom. Tu remuais
quelque chose d'ancien en moi. Quelque chose de tendre et d'oublié. J'essayais de me souvenir, et toujours tu glissais aux franges de ma conscience, sur les limites floues de ma mémoire, ô chimère. Tu marchais sans m'attendre, inexorable comme un mirage, et j'ai du courir pour te rattraper.

Ma main sur ton épaule.


- Tu es Annira Barov. Mon ennemie. Son ennemie. Pourquoi es-tu venue ? As-tu finalement décidé de t'en remettre à ton véritable Seigneur ? "

Alors, tu t'es tournée vers moi, et j'ai cru que ma vision vacillait. Ton visage était redoutable, oui, car ce n'était pas celui d'un ennemi. C'était un visage doux, aimant, triste. Tu m'as tendu les bras. Avec crainte, j'ai reculé, je t'ai repoussée.

- Pourquoi m'as-tu oubliée, Semelys ? Pourquoi m'as-tu trahie ? Qu'as-tu fait de nos serments ? De nos souvenirs et des mots échangés ? "

J'ai secoué la tête, parce que je ne me souvenais d'aucun serment, d'aucun échange et d'aucune tendresse ; je ne me souvenais que du froid dehors et dedans, de l'acier, et de l'allégeance à mon Roi. Je me souvenais d'être une Lame, une arme droite et digne, je me souvenais d'être un sujet et un soldat. Mais avant ? Avant ? Non... rien. J'avais tout offert à mon Roi. Tout ce que j'avais été avant : effacé. Ne me restaient que mon vieux nom et mon honneur, vestige d'une existence par moi-même volontairement balayée. Pourtant, à cet instant, alors que tu me faisais face, opposant ta force à ma fragilité, alors que tu me tendais les bras devant l'autel, au coeur de la Cathédrale dressée en l'honneur de mon Roi, j'avais envie de me souvenir.

Je voulais goûter à ton nom, le faire rouler comme un alcool sur ma langue. Je voulais te bercer sur mon coeur et t'habiller de couleurs nouvelles pour remplacer celles que j'avais perdues. Je voulais ployer les genoux et demander pardon ; je voulais pleurer comme un enfant. Mais je ne pouvais pas, tu sais ? Je ne pouvais pas, parce que j'étais une arme, une Lame, un soldat. Parce que j'étais fait de glace et d'acier. Parce que ce quelque chose d'ancien qui bougeait en moi ne pouvait rien contre les chaînes qui m'enfermaient étroitement.

- Je t'en prie, ai-je murmuré. Dis-moi ton nom. "

Ton sourire me fut si douloureux que je détournai le regard.

- Comment puis-je te le donner si toi-même tu l'as oublié ? C'est lui, finalement, que tu as épousé. " Et tu as désigné du menton l'orbe rougeoyante qui reposait sur l'autel.

J'ai voulu me raffermir. Me faire pierre face à toi, parce que je ne voulais pas trahir mon Seigneur.


- Tu es un fantôme, ai-je dit. Les fantômes ne hantent pas les fantômes. Va-t-en. "

Une dernière fois, nos regards se sont croisés avant que tu ne me tournes de nouveau le dos, avant que tu ne m'offres à contempler, une fois de plus, les ombres dans tes cheveux. J'ai reculé vers l'autel comme pour me protéger de mes propres failles. Toi, tu es partie. De ton pas lent de mirage et de chimère, et sans plus m'offrir un regard.

Sans même m'offrir ton nom.

Je crois que j'ai crié. Je crois que j'ai invectivé mon Seigneur. Je crois que j'ai blasphémé, oui, parce Tu la laissais faire. Tu la laissais semer le doute dans mon esprit, dans mes convictions, Tu la laissais mordre et déchirer ma loyauté. Et Tu me laissais espérer, et Tu me laissais vouloir être libre, alors que je T'avais toujours fidèlement servi.

Et ma voix s'élevait seule dans la Cathédrale, abandonnée et perdue, dans l'attente de son Seigneur.

Alors, elle est revenue à moi, sans rien dire. Ce n'est qu'à cet instant que mon Seigneur s'est manifesté, et son ordre était clair. Tue-la. C'est Annira de la Maisonnée Barov, et elle a trahi. Tue-la. Détruis-la.

Tu n'avais pour arme que ton silence et ton regard, mais ils me furent plus douloureux que n'importe quelle épée. J'étais obligé, tu comprends ? Parce qu'Il l'avait ordonné, et parce que j'avais toujours fidèlement servi mon Roi. Alors, oui, j'ai frappé, et c'était déjà comme si je frappais dans ma propre chair, dans ce
quelque chose d'ancien qui hurlait, protestait et se plaignait tout au fond de moi. Tu es tombée. Mais ma main a tremblé au moment de te porter le dernier coup, et je n'ai tué que les dalles du sol.

J'étais en train de faillir. J'étais en train de trahir, parce que je cherchais toujours ton nom.

Tu aurais pu rester au sol, et tout se serait terminé là ; mais non, il a fallu que tu te relèves et que tu t'opposes, grande et fragile, à ma détermination vacillante. Mon Seigneur riait dans mes oreilles quand j'ai frappé une nouvelle fois. Il riait, riait. Et moi, je cherchais un nom. Je cherchais ton nom, Chimère.

Ma lame dans ton ventre, et mon bras dans ton dos, presque tendre, qui t'attirait tout contre moi. Je voyais la mort dans tes yeux, déjà. Tu aurais pu supplier, tu aurais pu m'insulter, et faire ce que tout ennemi fait en présence d'un autre ennemi. Mais non. Non. Tu n'avais pas de violence au bord des lèvres : juste un nom, un nom ancien et vrai, le mien.

Semelys.

Je me suis penché vers toi jusqu'à ce que mes dents trouvent ta gorge, et j'ai bu. Ton sang était plein de couleurs - les couleurs ! je me souviens des couleurs - de rires éteints et de murmures, comme un fragment de ma propre mémoire. J'étais si heureux, Chimère, que j'en aurais pleuré de joie. Et je crois bien que j'ai pleuré, oui.

Je t'ai doucement couchée sur le sol nu, comme une fiancée ou un objet infiniment précieux. Mon Seigneur s'était tu. Tout se taisait, en réalité, et l'ombre elle-même avait cessé de croître. Je savais que tu ne mourrais pas.

J'étais heureux, Chimère. J'étais heureux, parce que je me souvenais enfin de ton nom.



Lyrée.


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